Témoignages

Tania Becker / Mai 2008

Nous sommes rue de Gergovie, septembre 61, assis sur un tabouret, en face de nous à quelque distance, le mur blanc est éclairé par le rond d'un projecteur de théâtre. Autour de nous il fait noir, le noir d'une salle de spectacle.

Le maître se lève de son siège, il apparaît dans la lumière, il parle du sujet des improvisations à venir. Il ne montre pas, mais son discours explique des phénomènes de la vie, apparaître, disparaître, regarder, suggérer, chercher à courir très vite, alors qu'on est vieux, être belle - être moche, être nu, se mouvoir en apesanteur ou développer un matériau gestuel. Grimper le long d'une falaise en utilisant le « contre poids » fraîchement acquis.

Chaque fois le thème est nouveau, l'improvisation comme la roulette russe : réussie ou ratée, angoisse, tâtonnement, découvertes, entraînement aussi dans d'autres cours, mais ici le maître nous parle de ce qui est à la racine de toute théâtralité, et de ce que l'acteur mime doit capter pour pouvoir ( un jour) être présent lorsqu'il bouge, et donner à son geste la dimension d'une musicalité digne d'être regardée. Le silence est tension et la matière dans laquelle le mouvement crée sa pulsion, jamais le Théâtre dans ses expressions multiples n'est absent : Le grossissement, la dimension onirique, le grotesque, l'élévation vers des sons célestes et leur chutes dans les sensations de notre être.

Je suis sur mon tabouret, le maître prononce mon nom, je me lance à l'eau, et j'entreprends d'escalader la falaise imaginaire, les rochers résistent, tout le cours m'accompagne, j'atteins le sommet. L'atmosphère se détend, « c'était très bien », est le verdict, mais j'ai louché épouvantablement durant toute l'ascension.

 

Jean-Claude Cotillard / Août 2008

Chez Maximilien Decroux, j'ai appris le mime, l'humour et l'élégance.

Je suis né artistiquement au cours de Maximilien dans le petit studio de la rue Corneille, puis dans les studios de la rue Gît le-cœur. Ma rencontre avec Maximilien fut la rencontre avec un maître, celui qui maîtrise un art et qui offre à chacun de ses élèves une manière individuelle de se l'approprier. Nous travaillions la rigueur du geste (les dessins, les dynamos rythmes, toute la grammaire « Decroux ») puis il nous libérait dans l'improvisation .Il libérait nos personnalités. Chacun cherchant son style. C'était d'une richesse inouïe. Chaque cours était pour moi un éblouissement. Je me souviens m'être dit en sortant de ses cours que ma vie prenait un sens. C'était vraiment une naissance. Je ne quitterai plus jamais cette approche du mime, cette forme artistique.

Tout cela sans aucune charge affective apparente, sans même ce qu'on appelle maintenant la convivialité. Toujours la distance de l'humour. J'adorais. J'ai toujours gardé en moi cet humour, quelque peu modelé par celui de Maximilien. « Reste un peu secret » me disait-il quand il a commencé à me confier des cours. Des remplacements d'abord. Je m'y rendais avec terreur et gourmandise. Je n'existais pas encore. J'imitais Maximilien. Je crois que j'étais un habile clone avant d'infléchir mon travail vers quelque chose de plus personnel, vers mon autonomie d'artiste.

Plus tard, j'ai réclamé à Maximilien des entretiens particuliers. A cette époque, j'étais au degré zéro de la connaissance culturelle. Ignorant à peu près tout. J'ai voulu savoir le mime comprendre comment tout cela fonctionnait, d'où tout cela venait : l'histoire du mime, la théorie, les artistes. Je venais avec mon cahier. Je notais, notais. Il m'a transmis. Tout. Avec générosité.

Puis j'ai créé mes premiers spectacles et j'ai aussi enseigné, très vite, tout de suite. Maximilien m'a offert le cours de la cité universitaire internationale de Paris. Le plus beau cadeau parce que c'était une très belle école, d'une grande richesse humaine. J'y ai beaucoup appris. Maximilien m'emmenait partout, au Conservatoire National d'Art Dramatique de Paris où il enseignait, à Orléans ou je suis devenu professeur au Conservatoire sur sa recommandation. Il m'a lancé, l'air de rien comme toujours, sur la route de la création et de l'enseignement.

Bien sûr j'ai suivi ensuite mon chemin personnel et nous nous sommes un peu perdus de vue. Aujourd'hui je partage toujours mon temps entre l'enseignement et la création. Mes créations sont toujours marquées par cet esprit particulier de la gestuelle expérimentée chez Maximilien et mon enseignement fait une place plus qu'importante à l'art corporel, notamment dans l'Ecole Supérieure d'Art Dramatique de la ville de Paris. Ecole de service public que je dirige.

Aujourd'hui encore je suis nourri des cours de Maximilien Decroux. Je lui dis ici MERCI ! avec force, respect, admiration et affection.

 

Janine Grillon / Mai 2008

J'ai été l'élève d'Etienne Decroux de 1953 à 1960. J'y ai découvert les lois de l'espace scénique, la sémantique des différentes parties du corps, de leur dynamique, la transcription dans le corps de l'immense palette des émotions et des sentiments de l'âme humaine : La réalisation de la super-marionnette dont parle Gordon Craig. Tout ce qui a été à la base de mon travail de théâtre. Parallèlement à ces sept années chez Etienne Decroux, j'ai commencé un travail avec son fils Maximilien.

Maximilien a été non seulement le meilleur interprète de l'école de son père, mais l'innovateur d'une expression tout à fait moderne, innovateur et précurseur de l'expression dramatique du corps de la deuxième moitié du vingtième siècle.

J'ai suivi pendant plusieurs années l'enseignement de Maximilien Decroux pédagogue exceptionnel. J'ai joué dans l'une de ses premières créations, à Paris et à Milan : Le Chanteur et son musicien. Ce travail, très proche du découpage cinématographique a été pour moi un tremplin pour toute ma création aussi bien scénique que picturale.

 

Wolfram Mehring / Mai 2008

J'ai rencontré Maximilien Decroux en 1955, lors d'une de ses conférences à la Sorbonne. Tout de suite j'ai été surpris par l'étonnante clarté des explications qui accompagnaient ses démonstrations du Mime français. Dans ses cours d'improvisation, des élèves de tous les continents étaient captivés par son percutant esprit d'analyse et une exceptionnelle sensibilité.

Lorsqu'il élaborait son premier spectacle : Les deux Amis, j'ai pu y participer en jouant son partenaire. Il développait dans ce spectacle une « Dramaturgie du Mime » jusqu'alors inconnue sur les scènes parisiennes. L'amitié qui nous unissait dans ce spectacle nous à liés aussi dans la vie, jusqu'à nos jours.

Maximilien Decroux est pour moi l'une des personnalités marquantes du Théâtre français. Il a ouvert des voies nouvelles vers une réalité moderne de l'art du Mime, un art qui risquait de se scléroser dans des conventions formelles.

 

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